NeuroLang, un langage pour mieux questionner l’activité cérébrale
NeuroLang, un langage pour mieux questionner l’activité cérébrale
- MIND développe des méthodes pour exploiter les données de neuro-imagerie
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86 milliards de neurones. 150 000 milliards de synapses. 180 000 kilomètres de fibres nerveuses. Et des informations qui circulent à plus de 400 kilomètres/heure. Le cerveau humain est une machine prodigieusement complexe. Son exploration ne fait que commencer. Elle constitue l’une des dernières grandes frontières scientifiques.
Depuis quelques années, l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) permet de commencer à esquisser un atlas des différentes régions cérébrales et des fonctions cognitives spécifiques associées à ces zones. Ces progrès dans les systèmes d’acquisition permettent d’engranger une moisson de données numériques. Une mine de renseignements pour les neurosciences. Et cela encore plus quand on peut combiner ensuite différentes études pour mener ce que l’on appelle des méta-analyses. Mais avec un bémol : il demeure difficile de faire parler ces données souvent hétérogènes, bruitées, incertaines. Et c’est là que langage NeuroLang intervient.
À l’origine du projet : une intuition de Demian Wassermann, chercheur dans l’équipe MIND au Centre Inria de Saclay. « La chose qui manquait, c’était de pouvoir exprimer des hypothèses et poser des questions aux données d’une façon proche du langage naturel. Il existe un fossé entre l’hypothèse que l’on peut émettre, donc celle que l’être humain formule de façon rhétorique, et un système mathématique qui interroge les données pour trouver une réponse à ces questions. »
Passer d’une question rhétorique à une formulation mathématique
En toile de fond, c’est tout un changement culturel qui s’opère. « Jusqu’à présent, pour apprécier le monde, l’histoire de la recherche humaine se fondait justement sur cette rhétorique et des hypothèses formulées en langage humain. À côté de cela, les méthodes quantitatives sont très nouvelles. Le problème, c’est qu’elles requièrent une approche beaucoup plus formalisée. » À partir de la question rhétorique humaine, NeuroLang vient donc automatiquement apporter une formulation mathématique pour mieux répondre à la question.
À partir d’une question et des données, NeuroLang génère un algorithme qui est en fait une formulation mathématique permettant de répondre à la question dans un temps raisonnable.
Demian Wassermann, Chercheur au sein de l’équipe-projet MIND
Pour aider l’utilisateur à exprimer sa question, le nouveau langage s’appuie sur ce que l’on appelle l’anglais contrôlé. Il s’agit d’un sous-ensemble de l’anglais qui s’avère moins sujet à interprétation que le langage rhétorique naturel car il possède une sémantique plus claire. « Ensuite, à partir de cette question et des données, NeuroLang génère un algorithme qui est en fait une formulation mathématique permettant de répondre à la question dans un temps raisonnable. À supposer que la question possède une réponse, évidemment. »
Fin 2017, le projet reçoit un grand coup d’accélérateur quand Demian Wassermann devient lauréat d’une bourse octroyée par le Conseil européen de la recherche au terme d’un processus très sélectif. « L’ERC aime les idées risquées et il donne énormément de moyens. » En l’occurrence : une enveloppe de 1,5 M€. De quoi financer six ans de travaux au terme desquels NeuroLang arrive désormais à une certaine maturité. Les résultats de recherche viennent de donner lieu à une publication dans Scientific Reports, un journal du groupe Nature. « La partie mathématique nous a pris beaucoup de temps, mais elle marche très bien. Nous effectuons maintenant un travail intensif sur l’interface pour la rendre plus simple d’emploi. »
NeuroLang utilisé pour étudier la dyscalculie chez les enfants
Parmi les premiers utilisateurs figurent des scientifiques de l’université de Stanford avec lesquels Demian Wassermann collabore depuis une dizaine d’années. Ces chercheurs s’intéressent à la dyscalculie chez certains enfants. Ils étudient dans quelle mesure un entraînement cognitif peut y remédier. Ils souhaitent savoir si l’on peut établir une relation entre la structure du cerveau de l’enfant et sa sensibilité à cet entraînement cognitif. Ces travaux tendent à indiquer que si l’enfant possède des connexions plus prononcées entre certaines zones cérébrales, alors la probabilité augmente qu’en suivant l’entraînement cognitif, il fasse régresser sa dyscalculie.
Quand un neurologue effectue une analyse et pose une question à l’aide de ce nouveau langage, la réponse produite n’est jamais oui ou non. « Pour les questions qualitatives, nous donnons une probabilité. À la question : votre capacité de lecture est-elle meilleure si votre cerveau présente telle particularité, nous ne répondrions pas vrai ou faux, mais nous dirions qu’il y a 80% de possibilité que cela soit vrai. » Pour évaluer ce niveau de certitude, NeuroLang s’appuie sur les techniques d’intelligence artificielle que l’on pourrait appeler "classiques" et qui existent en informatique depuis très longtemps.
En revanche, quand il s’agit de répondre à des questions de nature quantitative, les chercheurs exploitent les techniques plus récentes de l’apprentissage automatique. Ce que l’on appelle aussi le machine learning. « Cette analyse quantitative va venir indiquer, par exemple, que certaines facultés cognitives d’un patient devraient chuter de 30%. Pour cette quantification, nous utilisons des réseaux d’apprentissage profond. »
Aider le neurochirurgien dans son opération
Cette seconde partie est en cours de développement. Elle donne lieu d’ailleurs à un nouveau projet financé par l’Agence nationale de la recherche et mené en partenariat avec l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP). Plus précisément, l’unité de neurochirurgie de l’hôpital Lariboisière.
L’idée ? « Aider le chirurgien à choisir la meilleure voie par laquelle accéder à une tumeur dans le cerveau. L’opération peut endommager une zone. Mais le cerveau possède une certaine plasticité. Il peut réapprendre des fonctions cognitives qui vont alors se reloger dans d’autres zones. Cela dit, cette plasticité reste un phénomène encore méconnu. Certaines fonctions semblent plus plastiques que d’autres, mais on ne sait pas vraiment lesquelles, ni dans quelles zones. À l’aide de NeuroLang, nous essayons de mieux comprendre cette plasticité pour que le chirurgien puisse estimer, de façon quantitative, la probabilité du patient de regagner sa capacité cognitive. »
Et l’histoire n’est pas finie. « Il reste encore beaucoup de recherches à mener. En particulier pour étendre la quantité de questions auxquelles NeuroLang pourrait répondre. »
Créée en septembre 2023, MIND est une équipe-projet Inria commune avec le CEA et l’Université Paris-Saclay. Elle succède en partie à l’ancienne équipe Parietal. Elle comprend quatre membres permanents : Bertrand Thirion, Demian Wassermann, Thomas Moreau et Philippe Ciuciu qui en assure la direction. Un cinquième membre permanent, Chaithya Giliyar Radhakrishna, recruté par voie de concours CEA cet été, va rejoindre l’équipe à partir de novembre 2023.
Son fil conducteur : utiliser les méthodes d’intelligence artificielle sur de grandes bases de données pour mieux comprendre le fonctionnement du cerveau. « En neurosciences, comme dans d’autres disciplines d’ailleurs, un changement de paradigme est en cours. Au lieu d’analyser de petits jeux de données et d’essayer d’en tirer de grandes conclusions, les chercheurs s’efforcent maintenant de travailler sur de très grands jeux pour obtenir une idée plus précise de la phénoménologie étudiée », résume Demian Wassermann.
MIND constitue l’une des quatre unités de recherche de NeuroSpin qui est à la fois un département de l'Institut des sciences du vivant Frédéric Joliot du Centre d'études CEA Paris-Saclay et une plate-forme unique en Europe de machines de neuro-imagerie par résonance magnétique nucléaire à haute résolution. « Nous bénéficions des dernières technologies en matière de mesure des données du cerveau. Avoir ainsi à disposition, dans un même bâtiment, toute la variété des systèmes de mesure de l’activité cérébrale, humaine et animale, c’est quelque chose d’extrêmement rare dans le monde. Mais il ne s’agit pas que d’une plate-forme technologique. NeuroSpin comprend quelques-unes des équipes de sciences cognitives les plus en pointe au niveau international. Le fait de travailler dans ce cadre nous permet donc aussi d’avoir des échanges fluides avec ces équipes de très haut niveau. »